Protection et confort  pour garder l’œil ouvert
La protection oculaire progresse chez les utilisateurs, au point que  les accidents du travail ont chuté en France depuis 1990. Le design soigné des lunettes et un confort accru ne sont pas étrangers à ce succès.
Plutôt que par le design, Patrick Cabaret, préventeur sécurité environnement sur le site Bosch de Mondeville, dans le Calvados, s’intéresse au confort : «la protection oculaire concerne une quinzaine de personnes sur notre site. Pour nous, le design n’a pas d’intérêt, nous cherchons surtout des lunettes qui ne nous font pas mal, donc légères.»  Ces lunettes sont portées 4 à 5 heures par jour. Elles protègent contre d’éventuels risques mécaniques, lors d’opérations de meulage ou de tronçonnage. «L’autre type de risque est la projection de produits chimiques, lors de la manipulation de batterie lithium-ion, mais c’est rare» note Patrick Cabaret. Les achats s’orientent selon l’offre des fabricants, mais dans l’ensemble «la qualité est présente depuis le début. Seuls le confort et les prix évoluent» note le préventeur. À ce poste depuis 7 ans chez Bosch, il ne se préoccupe à aucun moment du prix : «c’est du ressort du service achat, qui a, avec Bollé Safety, un contrat national.» En d’autres termes, tous les salariés Bosch en France portent les mêmes équipements de protection oculaire.
Recherche de confort
Avec une durée de vie qui évolue entre un et trois ans selon l’utilisation, le choix est relativement simple à faire : pas de traitement des verres, aucune paire de lunettes adaptée à la vue des opérateurs, puisque ce n’est pas justifié par la durée pendant laquelle elles sont portées. Pour faciliter néanmoins la tâche, «les fabricants nous laisse essayer les nouvelles lunettes pendant un mois. En général, je n’ai pas de retour négatif» indique Patrick Cabaret.
Question confort, les progrès s’obtiennent par des bordures plus larges, recouvertes de mousse ou d’élastomères lorsqu’elles sont en contact avec la peau, mais également des traitements contre les rayons ultraviolet (UV), contre la buée ou les rayures. Pour accroître la stabilité des lunettes sur le visage, certains remplacent les branches par un élastique. C’est le cas notamment du modèle Technic de Lux Optical.
Le look est devenu primordial
« Une gamme de plus en plus design », précise Stéphane Marret, commercial chez Europrotection, qui distribue ce modèle. Le look est devenu primordial pour les fabricants d’EPI du visage. En effet, « dans certains secteurs, comme le BTP, les employés sont très attachés à leurs images », souligne Christine Mello, chef de produit chez Honeywell, fabricant d’équipements de protection individuelle. Dans le viseur des designers : la couleur des montures, leurs formes mais aussi leur poids. Par exemple, la monture Evalor, distribuée par Singer Frères, ne pèse que 22 g. Un record face à une moyenne qui se situe plutôt 10 grammes au-dessus.
Progression spectaculaire du marché
Spécialiste de la lunette de protection, Bollé Protection décline ses produits sur deux grands marchés : l’industrie, avec Bollé Safety, et le militaire, avec Bollé Tactical. La société a réalisé un chiffre d’affaires consolidé de plus de 50 millions d’euros en 2011, et enregistre une progression spectaculaire à deux chiffres sur le marché «safety», qui comprend les lunettes, les masques et les écrans faciaux.
Le marché Tactical le fait progresser, sur le plan technique, puisque les performances exigées situent la barre très haut :
«pour des lunettes balistiques, la résistance à l’impact peut atteindre 900 km/heure. Les lunettes doivent également résister à des températures extrêmes» indique Rubina Meunier, responsable marketing de la zone Europe Moyen-Orient Asie.
Résistance éprouvée
Les lunettes résistantes à l’impact doivent obtenir la certification EN 166 (lire notre encadré «EN 166, seule norme obligatoire»). La protection contre les impacts de projectile, requiert la présence de la lettre F, ou B selon la performance recherchée. La lettre F constitue le seuil minimum. Les lunettes doivent résister à une bille d’acier de 6 mm projetée à 45 mètres/secondes, ou 162 km/heure. La lettre B correspond à une résistance à un tir d’une bille d’acier de 6mm projetée à 120m/s, ou 432km/h. Bollé Safety place l’utilisateur au cœur de ses développements et intègre les matériaux et les design les plus techniques et ergonomiques. Le modèle Universal avec son nez B-flex dit « à mémoire de formes » en est un bel exemple. Ce nez amovible s’ajuste dans toutes directions et permet d’adapter les lunettes à tous les types de visage. Bollé Safety et Bollé Tactical sont des marques du groupe américain Bushnell Performance Optics. Ludovic de Sereys, proche des frères fondateurs Bollé, «s’est battu pour conserver une démarche spécifique. Le groupe a eu l’intelligence de lui faire confiance car ils ont compris que c’était la clé de notre succès» rappelle Rubina Meunier.
Design : valeur ajoutée
Elle insiste elle aussi sur la valeur ajoutée du design, quel que soit le marché. L’objectif est simple : convaincre les utilisateurs de porter leurs équipements de protection du visage. « Des lunettes moches ne sont pas portées », résume simplement Ludovic de Sereys. L’effort est particulièrement orienté sur la collaboration entre le fabricant, le responsable sécurité, l’acheteur et l’utilisateur final. « Nous leur proposons d’essayer plusieurs modèles avant de procéder à l’achat », poursuit-il. « Ils peuvent les emporter pour les essayer et les ramener quand ils veulent. »
Selon une étude de la Mutuelle Prévadiès, pas moins de 65.000 accidents oculaires ont lieu chaque année en France, dont 18.236 avec arrêt de travail. Ce nombre d’accidents du travail relatifs aux lésions oculaires connaît néanmoins une baisse continue. Entre 1990 et 2006, ce taux a chuté de 40 % pour les accidents avec arrêt et de 57 % pour les accidents ayant entraîné une incapacité permanente. Signe que les entreprises sont de plus en plus vigilantes sur le port de lunettes. Pour autant, le danger demeure si les lunettes de protection ne sont pas adaptées aux risques qui peuvent être de natures très différentes.
Identifier le risque
La première étape d’un préventeur consiste à analyser le risque pour définir ses besoins. Les plus fréquents sont le risque mécanique, qui se manifeste, dans la plupart des cas, lors d’opérations d’usinage où sont projetées des particules acérées ou possédant une énergie cinétique importante (copeaux métalliques, projection d’éclats ou de fragments d’outils, eau sous pression...).
Ce risque existe aussi dans les activités mettant en œuvre ou créant des nuages de poussières (action abrasive au niveau de l’œil) ainsi qu’en présence de projection de liquide ou de matières solides fondues.
Acide : premier risque
«La projection d’acide est le risque numéro un, avec les poussières» indique Romain Vereecque, membre du CHSCT. Les lunettes sont donc portées quasiment en permanence, de même que les protections auditives et le casque. «Nous complétons même ces équipements par un pare-visage en cas d’intervention particulière, comme pour le débouchage d’un tuyau ou en cas de fuite d’acide» précise-t-il. La protection est la préoccupation première, mais le confort et le design ont leur importance, «faute de quoi, les salariés ne portent pas leur EPI» remarque-t-il. Elsa Bevilacqua confirme : «nous mettons beaucoup de moyens dans la protection, dont les lunettes. La vue, c’est la vie… Le design est important, mais en termes d’ergonomie. Il faut que les lunettes ne blessent pas ceux qui les portent, qu’elles soient stables, adaptées au casque et ne réduisent pas le champ visuel.»
Romain Vereecque attend en plus des lunettes qu’elles soient légères, faciles à nettoyer des poussières qui s’y accumulent. Sur le salon Préventica de Strasbourg, les 30 et 31 mai derniers, il a découvert les anti-rayures et compte en faire la demande au service achat. «Ce traitement devrait rallonger la durée de vie des lunettes, qui se situe actuellement à 6 mois environ.» Les siennes sont à sa vue et devraient lui servir au moins deux ans. Le risque biologique est présent, notamment, dans le milieu médical, dans l’industrie agroalimentaire ou dans le domaine de la gestion de déchets, lorsque des micro-organismes sont susceptibles de contaminer l’individu. Ce risque est aussi présent dans les milieux favorables au développement de ces micro-organismes tels que les bacs d’huile de coupe recyclée, les climatiseurs...  Le risque lié aux rayonnements optiques (infrarouges, rayons X, ultraviolets, lasers) se manifeste dans de nombreuses activités en milieu industriel, médical ou commercial (procédés de soudage, aciérie ou chirurgie). Une surexposition de l’œil à des sources d’intensité élevée peut provoquer des brûlures et des lésions de l’œil. Le risque thermique intervient lors de la projection de liquides ou solides chauds ou l’émission de rayonnements intenses (fours, par exemple). La présence d’arc électrique soumettra l’œil à plusieurs risques : rayonnements UV, projection de particules ou chaleur.
Radioprotection : attention fragile
" Nous avons entamé une réflexion sur l’aspect esthétique de nos lunettes. La radioprotection est un domaine très sérieux, et nous avons souhaité y introduire un côté ludique. Nous avons pour cela fait appel à un lunetier du Jura, spécialisé dans les sports extrêmes» note Mireille Cousteau, responsable des ventes de la société Advanced Protection X Ray. Comme son nom le laisse deviner, l’entreprise AP X Ray occupe une niche dans le marché de la protection oculaire : la protection contre les rayons X et Gamma. Les derniers modèles ont été conçus il y a trois ans. Ils se déclinent en une palette de couleurs multiples : blanc, mauve, bleu marine, gris/orange, jaune/noir ou chocolat. Mais la priorité reste donnée à la protection contre les rayons ionisants, bien sûr ! Les domaines d’application sont médicaux : la radiologie, en premier lieu, mais aussi la chirurgie, qui fait appel aux rayons Gamma pour ses procédés d’imagerie médicale, et la médecine nucléaire, comprenez celle qui inocule un traceur radioactif pour le suivre dans l’organisme. Il s’agit, là encore, de rayons Gamma.
Autant de risques de lésions oculaires pour l’opérateur ou le médecin contre lesquelles les lunettes d’AP X Ray protègent grâce à une quantité plus ou moins importante de plomb intégrée dans les verres. «En général, ils comportent plus de 60% de plomb inséré dans le verre minéral, ce qui en fait une sorte de super cristal» souligne Mireille Cousteau.
Le produit demeure donc très fragile…et lourd : 70 grammes environ la paire (contre environ 35 grammes en moyenne pour une paire fabriquée en polymère), dont 90% du poids est constitué par les verres. Les branches compensent très partiellement. Fabriquées en Grilamid, un polyamide doté d’un faible poids et d’une résistance élevée, elles sont très légères et souples. Chaque paire est équipée d’un cordon avec manchon pour le maintien, et pour éviter la casse !
«La demande augmente régulièrement pour ce type de produit» se réjouit Mireille Cousteau, «le marché a doublé de volume en 2011, particulièrement en Allemagne ou dans les pays scandinaves, très sensibilisés aux risques». AP X Ray, dont le siège est situé à Strasbourg, est le seul fabricant français de ce type de lunettes, et distribue ses produits en Europe.
Lunettes : c’est l’équipement de base dans la chimie
Le risque chimique apparaîtra lorsqu’une substance projetée ou présente dans le milieu ambiant réagira avec les composants de l’œil ou la peau.
Ce risque se manifeste dans la plupart des secteurs industriels sous la forme de poudres, d’aérosols, de liquides, de gaz ou de vapeurs.
La société Tioxide, propriété du groupe Huntsman, connaît bien le risque chimique. Le site de Calais produit en effet des pigments pour la coloration des polymères. Elsa Bevilacqua est la responsable sécurité, hygiène, environnement et qualité du site, et la présidente du CHSCT :
« les lunettes constituent l’équipement de protection individuelle de base. L’ensemble des 270 salariés en possède au moins une paire. Selon les postes, les besoins diffèrent, mais toutes possèdent une protection latérale », souligne-t-elle.
EN 166, seule norme obligatoire
La norme EN 166 est la seule garantie de posséder un équipement de protection individuelle du visage fonctionnel. Elle s’obtient dès que l’équipement est validé par un laboratoire certifié, « en Hollande, Pologne, Italie, France ou en Allemagne », énumère Ludovic de Sereys, directeur général de Bollé Safety. «Les lunettes sont marquées de deux incrustations spécifiques, l’une sur l’oculaire et l’autre sur la monture. » EN166 est la seule norme obligatoire pour les fabricants de lunettes de protection individuelle. « Elle fixe la durée d’utilisation de l’équipement, permanente ou temporaire, et sa résistance aux risques courants, mécaniques, aux chocs et aux impacts », résume Stéphane Marret, commercial chez Europrotection, distributeur d’EPI. Cette certification octroie la délivrance aux fabricants d’une attestation d’examen CE de type AET. « Le fonctionnement de cette norme suit une certaine logique », analyse Jean-Michel Gaillard, directeur général d’Univet France, fabricant de lunettes de protection contre les lasers. « Plus le risque est important, plus large doit être la protection. » Par ailleurs, rien n’empêche les fabricants de doter leurs produits de normes optionnelles, comme l’antirayure (marquage K) ou l’antibuée (marquage N). Mais cela n’a rien d’obligatoire.